La Data, une révolution dans la gestion des forêts

Avenir de l'IT : L'imagerie aérienne et satellitaire apporte de nouveaux outils pour les gestionnaires de patrimoines forestiers. Grace au traitement de ces données, il est possible de suivre l'évolution d'une forêt sur la durée

Par Alain Clapaud

  • 7 min

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Pourquoi c’est important pour vous ?

Pour comprendre comment l’analyse de données permet de gérer des pans entiers de territoire.

Si tout le monde connait l’IGN pour ses cartes et notamment son Géoportail, l’Institut géographique national réalise chaque année l’inventaire forestier statistique national, un véritable bilan des forêts françaises sans cesse mis à jour par ses équipes. La matière première de ce gigantesque travail d’inventaire, c’est la photo aérienne.


Outre l’imagerie aérienne, l’IGN réalise une analyse prise de la végétation en 80 000 points du territoire, points qui sont visités une fois tous les cinq ans. (Source : IGN)

L’IGN a mis en place la BD Ortho, c’est à dire le découpage de notre territoire en 80 000 points répartis sur tout le territoire. Par photo-interprétation chaque point est classé en fonction de l’occupation du sol par photo interprétation comme une forêt fermée, une forêt ouverte, une lande, un terrain agricole, une zone de récréation, de l’habitat, etc.

L’inventaire forestier, un énorme travail de terrain

Thierry Touzet, Chef de produit « Inventaire forestier » à l’IGN souligne : « Le but de cet inventaire, c’est évaluer l’état de la forêt française, voir son évolution, mettre en évidence ses particularité. Cela permet de calculer les surfaces mais aussi le volume de bois que cela représente, évaluer le stock de bois mort sur pied ou au sol, évaluer la croissance ou les prélèvements réalisés, etc. De multiples composantes écologiques sont prises en comptes pour réaliser ces calculs, notamment ave des données qui sont collectées sur le terrain. » La grande particularité de cet inventaire, c’est que ces 80 000 points sont analysés par photo-interprétation d’images aériennes mais cette analyse est complétée de ce que l’on nomme des levés de terrain, c’est à dire de des équipes terrains sont envoyées pour réaliser des mesures très précises sur places.


Le LIDAR terrestre mais aussi en version aéroportée apporte une mesure 3D de l’environnement, et permet ainsi une évaluation bien plus précise des volumes. (Source : Harris Geospatial)

Ceux-ci décrivent sur un rayon de 6 à 25 m la flore, la nature du sol ainsi que le peuplement forestier. Ils mesurent les arbres, à savoir leur hauteur, circonférence, âge, essence et qualité des bois. Près de 15 000 points géographiques ont été ainsi visités en 2016 dans un roulement qui permet d’avoir une information pour chaque point tous les cinq ans. « La photographique numérique a été une grande avancée pour nous, notamment en termes de précision puisqu’aujourd’hui nous disposons de photo d’une précision de 20 cm à 25 cm » explique Thierry Touzet, « Nous utilisons aussi beaucoup d’imagerie infrarouge pour distinguer les essences d’arbres. L’IGN utilise bien évidemment des outils de manipulation d’images pour réaliser cette base de données forestière mais l’analyse reste encore une tâche très manuelle. Nous avons des photo-interprètes forestiers qui ont une parfaite connaissance de ce milieu qui réalisent ce travail d’analyse. Un gros travail de recherche est mené afin de mettre à jour cette base à l’aide d’images satellite, en phase de post-qualification.

Des drones sur des utilisations plus pointues

L’imagerie aérienne et ces missions terrain constituent toujours la matière première de l’inventaire forestier. L’IGN s’intéresse aussi à la mise en œuvre des drones, mais sur des utilisations plus pointues que l’inventaire forestier. « Le drone est une technologique qui, potentiellement, peut nous intéresser mais nous travaillons sur de très grandes échelles. Il faut mener ce travail d’inventaire toute l’année, quelles que soient les conditions météo, été comme hivers. Néanmoins pour certaines études le drone est une approche intéressante. »


Les images Landsat permette le suivi de vastes zones géographiques comme le bassin du Congo. Cependant, leur faible définition reste un handicap. (Source : Landsat)

Autre piste de recherche pour l’IGN, le LIDAR, un détecteur laser qui mesure très précisément la hauteur en chaque point d’une zone. « Pour l’heure nous nous intéressons beaucoup au LIDAR terrestre pour avoir une idée des volumes. Ces LIDAR nous permettent de modéliser en 3D les arbres dans toute la France et bâtir ainsi une base de données de ces modélisations. Ces modèles permettent d’affiner les modèles de calcul sur les volumes de bois. De même que, l’arrivée notre laboratoire de recherche de Nancy travaille sur la technologie des LIDAR aéroportés, le but étant notamment d’estimer le volume total d’une forêt. C’est une approche qui s’avère très prometteuse. »

L’imagerie satellite, la donnée numéro 1 pour l’Afrique

Bien d’autre zones géographiques ne dispose par d’un suivi aussi méticuleux que celui réalisé par l’IGN dans l’hexagone. Suivre l’évolution dans des zones telles que la forêt amazonienne ou africaine impose d’utiliser des moyens à la hauteur de ces étendues immenses. Camille Pinet, ingénieur agronome spécialisée en Traitement de l’Information Spatiale chez IGN International assure le suivi des forêts du bassin du Congo, soit une zone de 3 million de km2. Pour assurer cette analyse sur une telle surface, son travail s’appuie essentiellement des photos prises par les satellites américains Landsat. « Depuis un peu plus d’une dizaine d’année, ces images sont accessibles gratuitement. Ce sont donc celles qui sont le plus fréquemment utilisées pour le suivi des territoires. Si elles sont gratuites et accessibles à tous, leur résolution reste assez limitée. »


Parmi les logiciels d’analyse d’image commerciaux les plus fréquemment utilisé pour réaliser un suivi de zone forestière, le logicielle Cognition de Trimble. (Source : Trimble)

Cette experte utilise des images satellites avec une bande spectrale dans le domaine du visible mais aussi des bandes spectrales en proche et moyen infrarouge. Ces bandes spectrales donnent une information intéressante sur la végétation. Néanmoins la résolution des images Landsat est de l’ordre de 15 mètres pour les images panchromatiques (en noir et blanc) et 30 mètres pour les autres bandes spectrales. A un pixel correspond donc un carré de 30 m sur 30 m sur le terrain. Cela permet de faire un suivi global à l’échelle d’un pays, d’une région, mais c’est une résolution insuffisante pour un suivi plus fin de forêts et parcelles. Pour leur part, les satellites français Spot 6 et 7 produisent des images d’une résolution de 1,5 m et 6 m respectivement mais elles sont payantes et tous les programmes de suivi ne peuvent se les offrir.

Suivre la dégradation progressive

En outre, contrairement aux satellites Landsat qui prennent les images en continu, les satellites français ne prennent les images que sur les zones programmées. Il n’y a donc pas un historique d’images d’une même zone prises sur plusieurs années. Néanmoins, dans de nombreux cas, une meilleure résolution d’images est un vrai atout pour la gestion des forêts : Camille Pinet souligne : « Il est possible de beaucoup mieux qualifier ce que l’on observe grâce à une meilleure résolution. La déforestation peut être un phénomène très brutal, comme on a pu l’observer en Amazonie, mais le plus souvent, notamment en Afrique où des populations vivent dans la forêt, la dégradation est plus progressive.

Avec des images haute-résolution, on peut identifier la disparition de chaque arbre, de même qu’il est possible de reconnaitre les types de plantations. » En outre, la haute résolution des images de Spot mas aussi des satellites Pléiades qui offrent une résolution de 50 cm permettent d’avoir du relief et faire ce que l’on appelle la photogrammétrie. « Cette troisième dimension nous donne une information supplémentaire afin de définir de quelles espèces d’arbres ou de végétation on a affaire. Il devient alors possible d’identifier la forme caractéristique des arbres, évaluer la hauteur moyenne d’une forêt en effectuant des mesures en prenant comme référence le niveau du sol donné par les pistes qui la traversent. On peut alors évaluer le volume et donc la quantité de carbone stockée dans une forêt. »


L’Open Source, notamment avec OTB (Orféo ToolBox) apporte des outils d’analyse d’image à la fois matures et performants et dont le faible coût leur permet d’être déployés en Afrique. (Source : Orféo ToolBox)

Pour qualifier le terrain, il n’existe pas encore de logiciel entièrement automatique qui va pouvoir identifier les types de parcelles. C’est une méthode semi-automatique qui est employée comme l’explique Camille Pinet : « Lorsqu’on s’intéresse à de grands territoires, on doit utiliser des méthodes de classification automatiques. L’expert va littéralement apprendre au logiciel à reconnaitre les grands types d’occupation du sol. On défini des petites parcelles d’apprentissage pour chaque type, le logicielle effectue une classification globale automatique à partir de ces échantillons. »

Nécessaire montée en puissance des logiciels et des capacités de stockage

Parmi les logiciels les plus fréquemment mis en œuvre pour réaliser ces analyses d’images satellites, Camille Pinet cite les logiciels commerciaux tels que la plateforme ENVI d’Harris Geospatial Solutions ou Trimble eCognition mais aussi des outils libres qui sont notamment privilégiés lorsqu’il s’agit d’effectuer des déploiements dans les pays africains. « Le logiciel UGIS est le SIG de référence dans le monde du libre et il existe des plugins pour ce logiciel dont OTB (Orféo ToolBox), un plugin développé par le CNES et qui permet de faire ces classifications d’images. Il s’agit d’une boite à outils d’algorithmes qui sont aujourd’hui suffisamment matures pour pouvoir être déployés sur le terrain et être utilisés par des techniciens qui ne sont pas nécessairement des développeurs. »

L’arrivée de sources de données plus précises comme les satellites Sentinel de l’ESA ouvrent de nouvelles perspectives dans le domaine de l’exploitation des forêts à l’échelle mondiale tout comme les LIDAR vont permettre de gagner en précision dans le suivi de zones géographiques très précises. Ces nouvelles sources de données vont se traduire par une nécessaire montée en puissance des logiciels et des capacités de stockage pour traiter ces données et améliorer le nécessaire suivi de ces indispensables pièges à CO2 que sont nos forêts.

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